A l’heure où le maillage vétérinaire en France représente une réelle problématique, où l’on constate une délocalisation de notre cheptel, les acteurs du secteur vétérinaire et agricole se sont hier réunis à l’occasion de la Journée Nationale des vétérinaires.
En présence du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, Marc Fesneau, de Monsieur Gérard Larcher, Président du Sénat et de Jacques Guérin, vétérinaire et Président du CNOV, Christiane Lambert est intervenue pour faire le point sur la situation, revenir sur les dernières initiatives gouvernementales et porter la voix des agriculteurs français et européens :
« Les éleveurs français sont préoccupés par la situation critique dans laquelle se trouve le secteur de l’élevage aujourd’hui. Nous sommes face à une crise sans précédent, consécutive à des événements historiques et cumulatifs, événements de plus en plus impactants pour les animaux eux-mêmes et pour la ressource alimentaire : influenza aviaire, peste porcine africaine, prédation… Une lourde décapitalisation du cheptel est engagée notamment en élevage bovin et les risques de rupture de production sont réels. C’est la triste réalité : un élevage qui ferme ne rouvre jamais.
Facteur d’inquiétude supplémentaire : dans certains territoires, le maillage vétérinaire s’étiole. A ce jour, moins de 5 000 praticiens déclarent avoir une activité rurale ou mixte, un chiffre en constante baisse depuis 15 ans.
Les raisons sont multiples :
Ainsi, les vétérinaires ruraux, de moins en moins nombreux, sont contraints de parcourir des distances ne permettant pas d’allier continuité des soins et qualité de vie pour le praticien.
La pratique rurale a drastiquement baissé ces 50 dernières années, et ne représente aujourd’hui plus que 20 % du CA des vétérinaires, ce sont donc les soins aux animaux de compagnie qui portent la croissance du CA.
Finalement, nos problématiques sont communes : une certaine forme de contraintes dans les métiers vétérinaires et éleveurs (horaires, weekends…) et des problèmes de main-d’œuvre et de recrutement auprès des jeunes générations.
Pour résoudre cette délicate équation, faisons front ensemble avec différentes pistes de solutions au premier rang desquelles la contractualisation.
Afin d’assurer et de renforcer l’accès des éleveurs aux soins vétérinaires, la contractualisation éleveurs / vétérinaire constitue un vrai levier pour maintenir un maillage vétérinaire rural et permet la mutualisation des moyens, pour progresser collectivement sur le plan sanitaire.
La contractualisation s’impose donc comme un outil indispensable pour lutter contre les déserts vétérinaires.
Il s’agit de proposer aux éleveurs et aux vétérinaires qui le souhaitent, un cadre contractuel individuel ou collectif, comme une des relations possibles entre les deux partenaires.
Les vétérinaires, en lien étroit avec les éleveurs, ont un rôle important à jouer dans l’équilibre économique parfois fragile des exploitations dans lesquelles ils interviennent.
De bonnes conditions d’élevage apportent un grand bien-être et un bon état sanitaire pour de bonnes conditions de production et de bien-être animal, réponse aux exigences de la société et des marchés, tout en veillant à la santé publique.
Le travail doit se faire dans un environnement économique viable, tant pour l’éleveur que pour le vétérinaire. La contractualisation éleveur/vétérinaire, en s’inscrivant dans la durée, est de nature à créer des conditions favorables à l’installation et au maintien dans les territoires.
C’est un « deal » vertueux pour la continuité et pour la permanence des soins, pour la gestion des médicaments mais aussi pour contribuer, selon les principes de One Health/Une seule santé, à l’amélioration de la santé humaine, animale et environnementale. Nous sommes attendus par la société et les marchés sur l’ensemble de ces sujets.
Le contexte sanitaire de la crise COVID 19 a rappelé l’interdépendance de nos 3 santés (humaine, animale, et environnement / végétale). De la santé animale découle la sécurité sanitaire des aliments, l’antibio résistance et donc la santé humaine et la santé de la planète. A titre d’exemple : 20 % des pertes de la production mondiale sont liées aux maladies animales.
S’il est efficace, ce couple éleveur / vétérinaire peut accélérer la transition vers des pratiques plus durables, en témoigne la diminution de l’exposition des animaux d’élevage aux antibiotiques : – 33 % en 5 ans et – 10 % encore publiés récemment. Le récent rapport de l’Anses place d’ailleurs encore une fois l’élevage comme pionner de la lutte contre l’antibiorésistance, loin devant l’homme. L’enjeu de la prévention doit être central.
J’attire enfin votre attention sur la question de l’accès aux données d’élevage et le sujet de leur utilisation par le vétérinaire qui doit être posée. S’il est important que ce dernier puisse avoir une vision globale de l’élevage pour un conseil le plus précis possible, les données doivent demeurer la propriété des éleveurs dans un contexte de flou sur leur valeur. Cela doit nécessairement faire l’objet d’une intégration dans le socle de base de tout contrat passé entre un éleveur et un vétérinaire.
La FNSEA salue le travail commun entre Organisations Professionnelles Vétérinaires et Organisations Professionnelles Agricoles sur la contractualisation qui a démarré il y a plusieurs années dans cet esprit constructif et conquérant. L’AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt) dont les enseignements viennent d’être dévoilés a montré que le travail peut être mené en commun au niveau national comme au niveau local.
Nous avons encore du chemin à mener vers la contractualisation, alors restons groupés !
A l’heure où l’agriculture est plus que jamais attendue, pour la souveraineté alimentaire, pour la lutte contre le changement climatique, pour la production d’énergie, pour répondre à toutes les attentes de la société et pour relever les défis d’avenir de notre pays, l’agriculture a plus que jamais besoin de vétérinaires nombreux, formés et compétents.
Au-delà de la santé et du bien-être animal au quotidien dans les élevages, un maillage vétérinaire solide permet d’accompagner efficacement la surveillance et la lutte contre les maladies animales. Les changements climatiques vont accélérer l’émergence de maladies, la crise sanitaire liée à l’influenza aviaire qui frappe nos élevages depuis 4 années consécutives prend désormais une ampleur endémique. Pour s’en sortir, il faut nécessairement un couple éleveur / vétérinaire fort en lien avec l’administration. Le sujet de la vaccination, actuellement en discussion, ne pourra avancer sans la totale cohésion de ces acteurs.
Ce qui est en jeu, c’est la pérennité de nombreuses filières animales ! L’agriculture est confrontée à un enjeu important de renouvellement des générations. 50 % des agriculteurs auront atteint l’âge de la retraite dans 10 ans.
La FNSEA s’engage pour promouvoir les métiers de l’agriculture et poser un cadre attractif qui favorisera l’envie d’entreprendre en agriculture et nous avons besoin des vétérinaires pour accompagner l’attractivité et la sécurisation de l’activité d’élevage.
La présence d’un vétérinaire est gage de travail serein pour les éleveurs. Des animaux bien soignés et en bonne forme contribuent à des élevages durables et performants. Ce bien-être, tous les agriculteurs y ont droit !
C’est donc un véritable appel aux vocations que nous lançons aux étudiants qui ont rejoint les rangs des écoles vétérinaires, que nous attendons de plus en plus nombreux dans le cadre du plan pluriannuel de renforcement des quatre écoles nationales vétérinaire porté par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire. Cette action d’élargissement des numerus clausus vétérinaires est une décision déterminante que nous saluons.
Il nous faut poursuivre et monter en puissance !
L’étude présentée ce jour*, à laquelle la FNSEA a participé en la personne de Joël Limouzin que dont je salue l’investissement, a mis en valeur la nécessité d’avoir une vision prospective du maillage vétérinaire de chaque territoire, car c’est en intervenant précocement que les solutions proposées seront les plus nombreuses, pertinentes et peu coûteuses. Cet AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt) ne clôt donc pas le débat sur le maillage vétérinaire mais montre, au contraire, l’importance d’avoir un Groupe de Travail dédié à ce sujet afin d’établir des diagnostics dynamiques et pas uniquement à un instant T, et ainsi, anticiper les prochains déserts vétérinaires.
Ma conviction est que c’est ensemble, main dans la main, que nous réussirons.
Monsieur le Ministre, quelle sera votre stratégie pour capitaliser sur les apprentissages de notre travail ?
Côté professionnels, vous le voyez, la volonté est là, les propositions sont sur la table, et nous avons besoin de visibilité et de fermeté politique pour réussir. Car de nombreuses conditions de réussite sont entre vos mains.
En particulier celle du financement : nous appelons donc à un engagement fort de l’Union Européenne qui semble se désengager politiquement et financièrement des sujets sanitaires. L’Etat Français ne peut pas adopter la même posture ! Ne pas répondre à notre appel serait admettre que la France accepte l’abaissement de sa qualité sanitaire. Les sujets sanitaires qui touchent l’élevage attendent de vous une volonté forte et des moyens en adéquation avec nos ambitions.
Nous avons hâte de vous entendre ! »
Christiane Lambert.
*Le CNOV a piloté, en lien avec le SNGTV, le SNVEL, CDA France, la FNSEA et GDS France, avec le soutien du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, un appel à manifestation d’intérêt permettant d’aider les territoires à lutter contre la désertification vétérinaire. Le principe était de réaliser, dans onze (six à l’origine) territoires volontaires, un diagnostic de leur situation (évaluer sur le plan qualitatif et quantitatif l’offre vétérinaire et la demande des élevages) et de coconstruire un plan d’actions en conséquence.