Article France Culture, 07.12.2021
À retrouver dans l’émission LES ENJEUX TERRITORIAUX par Baptiste Muckensturm
Photo prise par un appareil piège en 2020, publiée par l’association « Pays de l’Ours »• Crédits : AFP PHOTO/ PAYS DE L’OURS/ HO – AFP
Le mois dernier, pour la première fois depuis le lancement du programme de réintroduction des ours dans les Pyrénées en 1996, une ours est morte sous les balles d’un chasseur après l’avoir attaqué lors d’une battue au sanglier. Cet accident a conduit les services de l’Etat en Occitanie à nommer un préfet saisi explicitement de la question, Jean-Yves Chiaro, pour faire baisser les tensions entre pro- et anti-ours.
De quelle logique a procédé la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées pendant les années 1990 ? La présence de l’ours dans un écosystème présente-t-elle des avantages pour la biodiversité ? La présence de l’ours menace-t-elle l’activité des éleveurs ?
Autant de questions que nous abordons avec David Chétrit, médiateur, auteur de La réintroduction de l’ours aux éditions Privat en 2014.
En 2019, les ours pyrénéens ont endommagé ou tué 638 ovins, six bovins, huit chevaux et 33 ruches; et pour David Chétrit, la situation ne peut que s’empirer au fil des années, malgré la nomination récente d’un préfet délégué Ours :
« La nomination d’un préfet dédié à la question de l’ours est pour moi plus liée à la nature de l’accident qui vient de se produire, voire à l’inquiétude des services de l’Etat sur la question de leur responsabilité qui pourrait être engagée pour la mise en danger des personnes en résultat de la restauration d’une population d’ours.
La concertation a toujours été mise en avant par les services de l’Etat, mais cela fait 40 ans que la populations pyrénéenne, et notamment les communautés pastorales, essayent de se faire entendre sur les difficultés que soulève la restauration d’une population d’ours sur ce territoire sans être entendues. »
Pour David Chétrit, les Pyrénées sont loin d’être sauvages : bien plus, elles font cohabiter des professionnels de la montagne, de l’agroforesterie et deux millions de visiteurs par été. Dans cet environnement anthropisé, la réintroduction de l’ours pose question :
« L’ours est une espèce qu’on trouvait avant partout sur le territoire national, et on commet une confusion en pensant que l’ours aurait une place particulière dans les Pyrénées. C’est simplement que les Pyrénées ont été le dernier endroit où l’ours a pu prospérer, et c’est le dernier endroit d’où il s’est éteint. La question est de savoir si aujourd’hui, la restauration d’une population d’ours est compatible avec la présence humaine sur ces territoires habités. »
Pour David Chétrit, d’autres accidents sont à craindre par le simple fait de l’accroissement de la population d’ours sur le territoire pyrénéen, qui est passée de trois dans les années 1980 à une centaine actuellement, dont 50 du côté français.
« Plus il y a d’ours sur un espace donné, et plus on a de chances de le rencontrer ; plus on a de chances de le rencontrer, et plus il y a de chances qu’un accident se produise. Et cette corrélation logique entre la densité de population et le nombre d’attaques sur les hommes est un phénomène tout à fait connu depuis longtemps et démontré par des scientifiques spécialistes de cette espèce. »
Pour David Chétrit, les services de l’Etat et les associations de protection de la nature qui ont œuvré pour la réintroductionde l’ours ne se sont jamais souciés de l’avis des éleveurs sur la question. Saisi par des usagers et habitants de la montagne en 2005 sur le sujet des dangers provoqués par la réintroduction de l’ours, le Conseil d’Etat n’avait pas donné suite :
« En 2009, quatre ans après, le Conseil d’État a balayé cette question du revers de la manche en indiquant simplement qu’aucun accident mortel imputable à l’ours n’avait été recensé en France depuis 150 ans, ce qui est assez logique puisqu’il n’y avait quasiment plus d’ours en France, et surtout que les ours relâchés avaient été équipés de colliers émetteurs qui permettaient de les localiser et de réduire le risque de mise en danger de la vie d’autrui. Sauf que les ours perdent ces colliers au bout de quelques mois. »
L’effarouchement, méthode employée par des agents pour faire fuir des ours au comportement dangereux n’est pas opérante, pour David Chétrit, puisqu’elle intervient après détection d’un problème :
« Les agents techniques qui assurent ce suivi vont faire peur à l’animal en tirant des balles en caoutchouc avec des fusils pour tenter d’effrayer l’animal, pour faire en sorte qu’il ne se rapproche plus des hommes. Cela étant, il s’agit d’effaroucher des des ours à problèmes bien détectés, c’est-à-dire des ours qui ont potentiellement déjà attaqué des personnes. »